L'esprit encore rempli de l'émotion de la Course du Coeur de fin Mars, je n'ai repris la course que du bout de la chaussure de running. J'ai aussi fait quelques infidélités à mon vélo et me voilà presque chaque matin dans le RER B.
Ben j'aime pas. Alors je l'écris, tant pis.
Fred.
S’il m’arrive d’être en retard au boulot, je constate depuis plusieurs mois que l’excuse « je suis désolé, je prends le RER B » fonctionne au-delà de mes espérances. Plein d’empathie, mon auditoire me retourne immanquablement une mine accablée et plus compatissante que si j’étais victime d’une maladie grave.
En fait c’est bien une maladie grave: il faut du courage au quotidien, c’est douloureux, il y quelques rares périodes de rémission qui redonnent de l’espoir, et c’est apparemment incurable.
Accessoirement ça concerne des milliers de personnes, mais tout le monde s’en fiche. Après Solidays et le Téléthon, il faudrait lancer une journée de solidarité pour les usagers.
Prendre le RER B. De lassitude, certains le prennent de plein fouet pour abréger leur souffrance et augmentent sadiquement la durée du chemin de croix de leur coreligionnaires.
Pour ces derniers, prendre le train est un défi quotidien. On calcule chaque matin : sachant que je ne dois absolument pas arriver après telle heure, le RER théorique passe à xxx, donc je vais prendre 2 RER de marge, voire 3 si c’est vraiment important.
Fort de ce calcul, j’ai personnellement 12 minutes pour faire mon trajet à pied et rejoindre le quai. Me voilà donc sur le départ 15 minutes avant l’horaire cible, progressant sans stress vers le RER promis. Chemin faisant, comment s’empêcher de gamberger : et si le RER est en retard (pléonasme ?), je vais voir passer juste sous mon nez celui d’avant et devrai attendre sur le quai, grignotant bêtement la marge que j’avais constituée au prix d’un réveil injustement anticipé. Le pas s’accélère imperceptiblement, je finis immanquablement en sueur.
Après avoir validé mon pass Navigo sur une borne non HS (remarquez que la RATP dispose d’autocollants officiels pour indiquer qu’un équipement est HS, du moins à Paris, en banlieue ça reste artisanal), je jette un regard fiévreux sur le panneau d’affichage qui dans ses bons jours délivre 3 informations (sinon il indique sobrement qu’il est HS) :
- Les petits points blancs des stations desservies. Si c’est tout blanc, bordel garanti sur toute la ligne, on va s’arrêter partout et se compresser à mesure qu’on se rapprochera de Paris. Les plus optimistes n’imaginent pas un seul instant y faire la rencontre de leur vie, on va se tirer la gueule à qui mieux-mieux.
- Les infos complémentaires en bas de panneau, qui justifient tous les désagréments à venir : travaux, trafic réduit, incident en tout genre expliquant en gros qu’on l’a une nouvelle fois dans le fion , avec toutes les variantes dont la RATP, très créative, est capable.
- Le temps en minutes avant l’arrivée du prochain train.
Cette dernière information, au demeurant si simple, mérite commentaires. Quand on en veut à la Terre entière en général, à la RATP en particulier, le décompte des minutes est singulièrement long. Surtout si on voit passer 2 voire 3 rames dans l’autre sens. Ils en font quoi des trains à St Rémy ? Prenez un chronomètre, vous constaterez que même quand tout va bien ce compte à rebours est des plus farfelus. On saute certaines minutes, d’autres durent … plusieurs minutes, certaines sont tellement longues qu’elles débouchent sur The fatidique message « TRAIN RETARDE ». Dans le cas particulier de la Hacquinière, il ne faut pas être dupe : tant que le temps d’attente est supérieur à 7 minutes, cela signifie simplement que le train n’est pas encore parti. D’ailleurs les minutes s’égrainent à peu près normalement jusqu’à 7, forcément puisque ça n’engage encore à rien. Le décompte des minutes est donc bidon, il faut croiser les doigts quand on arrive au fatidique chiffre « 7 » qui restera affiché jusqu’à ce que la conjoncture des astres soit favorable. Alors ce fichu RER daignera enfin partir, ayant affronté les feuilles mouillées ou le gel ou un démarreur récalcitrant ou autre et accessoirement trouvé un conducteur volontaire. Quand ce n’est pas le passage aux horaires d’été, qui tout comme celui du retour à l’hiver, provoque le mécontentement d’une certaine catégorie de personnels, au détriment de tous les autres.
A ce propos, je suis disponible pour une interview un jour de grève, je suis toujours étonné du ton compréhensif des badauds devant la caméra, les reporters ont le chic pour tomber sur des voyageurs exceptionnellement zens, chapeau. Mon interprétation est que les quais sont tellement bondés qu’ils sont inaccessibles à tout l’attirail journalistique, donc que les joyeux sondés ne sont simplement pas en train de poireauter. C’est mieux pour pouvoir prendre du recul. Interview devant le musée d’Orsay plutôt qu’à la gare éponyme en quelque sorte.
Bref, on attend faute de mieux. N’allez pas croire que les trop nombreux retards permettent de remettre les rames propres, vous seriez déçus. Les canettes roulent sous les pieds, ce qui sert peut être de prétexte aux d’jeunes pour mettre les pieds sur les sièges. Le trafic allégé ne fluidifie pas non plus le trafic ; pas de train pendant 20 minutes et pourtant le mien trouve le moyen de s’arrêter entre chaque gare. Les taggers de tout poil y vont de leur déprimante bombe de peinture quand ce ne sont pas les gravures au cutter.
L’hiver dernier la RATP leur a donné un sacré coup de main. Après avoir bitumé le quai pourtant quasiment neuf de la Hacquinière, avec accessoirement un superbe creux qui se transforme régulièrement en belle flaque stagnante et fait le malheur des clients distraits, la RATP a facilité l’accès des malvoyants en recouvrant le bord du quai de dalles en relief, histoire que seul les aveugles qui le voulaient vraiment se jettent sous le train (challenge ambitieux, car des trains, il n’y en a pas tant que ça, ça fait deux pages que je le répète). Super utile certes, mais super glissant aussi, contribuant à allonger la liste des plâtrés. Et platré, le RER ça devient mission impossible : où mettre les béquilles, comment se faufiler en les plantant ailleurs que sur des pieds, si possible sur une zone sêche. Quelques fémurs plus tard, ces abords ont été peints en blanc à l’heure d’affluence et nous avons donc salopé de blanc des trains qui n’en n’avaient vraiment pas besoin. Problème maintenant réglé, mais dans un souci de préservation des tibias méfiez-vous quand même des marchepieds qui ne sont pas toujours à la bonne hauteur.
La Hacquinière, Bures, Orsay, le conducteur connait son boulot, c’est rare que ça parte en vrille. Mais dès Orsay, tout peut se gâter. En théorie, on a droit à un saut quantique qui nous mène 7km plus loin sans arrêt, à Massy.
Au moindre décalage constaté sur la ligne devant nous, on perd ce créneau direct et on se retrouve avec un omnibus qui, asthmatique, dessert 4 stations de plus et leur lot de voyageurs mécontents d’être prématurément congestionnés.
On part alors souvent dans le grand délire des annonces d’une voix lobotomisée qui nous informe que le train marquera exceptionnellement un arrêt dans les gares de x, y, z, ce qui est parfois en contradiction avec les panneaux d’affichage et/ou ce que le conducteur a envie de dire. Evidemment, on aura droit au même message à chaque arrêt non programmé. Cela interdit toute somnolence pour les heureux élus assis. Il arrive aussi qu’une station initialement desservie ne le soit plus. C’est marrant, sauf quand c’est Gentilly.
Ensuite plus on se rapproche de Paris, plus c’est aléatoire avec la somme des problèmes qui ont pu se produire, il devient exceptionnel que son train arrive à l’heure et en s’arrêtant aux seules stations prévues initialement. On devrait pouvoir parier en ligne. On se serre un peu, on se serre beaucoup, on se sert jusqu’à la folie. Les annonces du conducteur indiquant qu’un autre train arrive juste derrière n’y font rien, personne n’y croit ou n’y prête attention et dans les effluves d’eau de Cologne, de sueur, café, aisselles, avec plus ou moins de lumière dans le train, des hauts parleurs qui grésillent, des téléphones portables qui dévoilent la vie plus ou moins intime des voisins d’infortune, et jusqu’à l’autre bout du wagon pour les plus partageurs, GO GO GO au boulot.
Mi-Février j’ai même expérimenté le RER qui rebrousse chemin. 20 minutes d’arrêt juste avant Denfert (ils ont dû faire une faute d’orthographe), 3 RER nous doublent avant qu’on nous annonce qu’un passager est malade à Denfert et qu’on ne pourra pas continuer. Retour à Cité U, tout le monde descend… Sérieusement, on se fout de nous : les trains qui nous ont doublé se sont volatilisés ? Reprenant le métro en fin de matinée, ce même bobard était encore servi station Place d’Italie.
On est maintenant vraiment de mauvaise humeur, on turbine joyeusement jusqu’à … devoir faire le chemin inverse. La journée de boulot sert bien souvent à récupérer des forces suite aux mauvaises conditions de transport. Le soir c’est le conjoint ou les enfants qui serviront d’exutoire.
Nous voilà donc le soir. L’ambiance a bien changé : chacun est maintenant parfaitement réveillé, et autrement motivé pour regagner ses pénates. Les novices en arrivant sur le quai consultent les panneaux et calculent quel train prendre pour arriver directement chez eux. Les banlieusards aguerris montent dans le premier RER. Allons hardis plein Sud ! Rapprochons nous et on verra bien la suite, fouette cocher. Car là encore on n’est sûr de rien.
3 RER annoncés consécutivement pour Robinson, je fais quoi si je vais pas à Robinson ? Faut atteindre successivement Bourg la Reine et faire le pied de grue Quai 1 : là, on est sûr d’aller vers St Rémy, mais on ne sait pas jusqu’où. C’est la surprise en général à Massy : terminus, Orsay ou St Rémy, zatiz ze question… Pas possible de se fier à l’affichage, parfois en contradiction avec les annonces du conducteur, voire des hauts parleurs du quai.
Alors on monte dans le train à Massy, on reste près de la porte en attendant que le conducteur indique ce qu’il veut faire. Manque de bol, il arrive que les enceintes du wagon soient HS, dans ce cas-là, si c’est un très mauvais jour vous pouvez vous retrouver au dépôt.
On peut aussi remarquer depuis peu un nouvel affichage. En plus de vous indiquer dans combien de temps votre train va arriver, ce que personne ne croit plus, la RATP vous indique où est ce train. « Entre Luxembourg et Port Royal ». Belle attention, à croire que la RATP est tellement peu sûre de ses horaires qu’elle essaie de nous montrer qu’elle maîtrise la situation en nous prouvant que les trains existent bien et qu’elle sait exactement où ils sont. Mais honnêtement, je me fous pas mal de savoir où est le train, j’aimerais juste qu’on me garantisse qu’aux heures de pointe j’en aurai un toutes les 12 minutes qui s’arrête chez moi, en contrepartie de quoi je m’acquitte d’un abonnement annuel et de quelques menus impôts.
Une proposition toute simple : le Ministre des Transports devrait habiter St Rémy ainsi que le Directeur de la RATP et venir bosser tous les jours en RER. Dans la même logique, le Secrétaire d’Etat au tourisme habiterait à Roissy, histoire qu’il se rende compte quotidiennement de la première impression que la France offre aux touristes étrangers.
La recette de l’aller vous ayant plu, la même voix de gonzesse débile vous annonce que nous allons marquer un arrêt supplémentaire là et là, ce qu’elle peut ensuite compléter juste après et toujours très cohérente par deux nouveaux arrêts impromptus. Quelques minutes plus tôt on vous a expliqué dans plein de langues que pour vous barrer définitivement et vous envoyer en l’air il fallait descendre à Antony pour gagner l’aéroport d’Orly. Si c’était un jour à rester coucher, on vous signalera aimablement et judicieusement que le train est arrêté en pleines voies (on se rassure, il est précisé « momentanément ») et qu’il ne faut pas descendre sur les voies, histoire qu’il ne vienne pas l’idée saugrenue à des apprentis randonneurs de faire de la concurrence déloyale à la èratépé.
Bizarrement, l'arrivée à destination est vécue comme une délivrance, sans trop de forces pour être vraiment vindicatif. Je patiente pour récupérer la 3G et consulte la météo du lendemain. Pourvu qu’elle me permette de prendre mon vélo, pour dépasser en 2013 le cap des 3000km parcourus…
Lundi 15 Avril, 7h40 le RER est à l'heure. Il s'arrête dans les stations prévues mais nulle part ailleurs. Une situation qui a un gout désabusé d'exception. Dommage.